Roland Freudenstein, vice-président du groupe de réflexion Globsek, estime qu’il s’agit plus d’une manœuvre psychologique que d’une préparation à la guerre. Dans une interview avec Sofia Shevchuk pour Brussels Ukraїna Review, il discute des sanctions qui seraient plus douloureuses pour la Russie et de ce que l’Union européenne et l’OTAN pourraient faire pour soutenir plus efficacement l’Ukraine dans la situation actuelle.

Washington et Kyiv déclarent que la Russie renforce son potentiel pour une attaque contre l’Ukraine, Moscou nie son plan d’invasion. Pensez-vous que la situation sera dangereuse cette fois-ci?

Ce printemps, c’était déjà dangereux. La plupart disent que cette fois-ci c’est même plus dangereux car la Russie a installé une infrastructure ce printemps sur la frontière ukrainienne, maintenant il ne reste qu’à accumuler des troupes militaires. La Russie nie l’attaque – c’est le comportement habituel d’un attaquant. Je ne pense pas que Poutine planifie une attaque- cela dépendra également du comportement de l’Ukraine et de l’Occident, en priorité de l’UE, des Etats-Unis et de l’OTAN. Moi, personnellement, je pense que ce n’est pas une préparation à la guerre, mais plutôt un manœuvre psychologique qui ne veut pas dire que Poutine n’attaquera jamais. Son premier plan est d’accroitre la tension militaire pour atteindre son objectif politique. Ce but politique se compose de plusieurs aspects :

-garantir que l’Ukraine ne rejoindra jamais l’UE et l’OTAN

-forcer l’Occident à mettre la pression sur l’Ukraine pour l’exécution de l’accord de Minsk-II dans son interprétation russe (la fédéralisation, les élections dans les républiques populaires), sans l’exécution de sa partie par la Russie.

-le but psychologique, identique à celui du printemps : le plus souvent la Russie concentre son armée sur la frontière ukrainienne et puis rien ne se passe, la probabilité que dans le futur quelqu’un se sente obligé de résister diminue.

Actuellement, le Kremlin voit évidement une porte d’opportunités: les Etats-Unis s’occupent de leurs problèmes intérieurs, Biden est un leader faible aux yeux de Poutine à cause de l’Afghanistan; le nouveau gouvernement allemand a déjà signalé qu’il se comportera de façon critique envers la Russie, mais il n’est pas prêt aux actions militaires telle qu’un redéploiement. On appelle cela parler à haute voix mais porter un petit bâton. C’est un mix dangereux. Je crois que Poutine ressent la faiblesse de l’Occident.

Le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg a dit : “Nous appelons la Russie à être transparente, à faire baisser la tension et tendre à la désescalade. L’OTAN continue à surveiller et à faire parvenir un soutien politique et pratique à l’Ukraine. L’OTAN doit-elle / peut-elle montrer plus d’efforts pour protéger son partenaire, l’Ukraine?

L’OTAN c’est l’ensemble des pays-membres, c’est une organisation inter gouvernementale. Je crois que l’Occident et les Alliés doivent répondre immédiatement aux menaces russes par le renforcement de leur soutient en Pologne et dans la région de la mer Noire. Tout a commencé au printemps quand les Etats-Unis ont accru la présence de militants nucléaires en Pologne en réaction au renforcement de la concentration de l’armée russe sur la frontière ukrainienne en avril. En quelques jours l’armée russe à commencé à se retirer: Cependant, c’était la décision des Etats-Unis et pas de l’OTAN. De plus, certains membres de l’alliance ne veulent pas le développement de la guerre à l’Est: c’est une soi-disant coalition du “Drapeau Blanc” (Italie, France et Allemagne). Donc, l’Amérique doit prendre la responsabilité pour sa propre initiative.

En outre, l’Ukraine n’est pas membre de l’OTAN, donc ne fait pas la partie de l’article 5. L’OTAN n’a, par conséquent, pas le droit de protéger l’Ukraine. L’Ukraine n’a même pas de plan d’actions concernant son adhésion à l’OTAN car aux yeux des autres cela pourrait provoquer une réaction militaire encore plus puissante de la part de la Russie. Cependant, il y a des choses qui doivent être faites sans l’application de l’article 5, telles que les livraisons d’armes, les exercices militaires, les missions de formation – qui ont déjà lieu en Ukraine et ont un effet dissuasif. On peut affirmer que les sanctions occidentales ont mis un terme à la nouvelle escalade en 2014. Marioupol est toujours une ville libre, probablement grâce aux sanctions imposées à l’époque.

Stoltenberg devrait parler le langage de la désescalade (selon les Alliés), mais le souligner constamment n’est pas la bonne approche, à mon avis. Rappelons-nous que l’approche de l’Occident pendant la guerre froide était, et est encore aujourd’hui, une défense puissante, une forte dissuasion et un encouragement au dialogue avec l’Union soviétique dans le passé et aujourd’hui avec la Russie. Le fait est que si vous voulez dissuader – l’OTAN doit à un moment donné être en mesure d’aggraver délibérément la situation. Il est également nécessaire de le communiquer de manière précise à l’adversaire. Le problème avec la « désescalade avant tout » est que la dissuasion devient plus faible. Par conséquent la Russie peut penser que l’OTAN est incapable de faire la dissuader d’agir. Donc, si j’étais Stoltenberg, je présenterais un mélange bien équilibré entre un engagement de défense par une voie militaire, l’indépendance politique de l’Ukraine (c’est-à-dire une escalade si nécessaire) et la volonté de dialoguer (dans le cadre de la désescalade).

En 2014, l’Union européenne a condamné l’annexion de la Crimée et imposé des sanctions à certains citoyens et entreprises russes. L’Union européenne peut-elle faire plus s’il y a une menace réelle d’attaque russe contre l’Ukraine?

L’UE peut faire des choses beaucoup plus douloureuses que de juste imposer des sanctions contre les oligarques, dont la liste compte actuellement environ 300 citoyens. Par exemple, en coopération avec les États-Unis – exclure la Russie du système SWIFT. De plus, les sanctions personnelles contre l’ensemble de l’élite de dirigeants russes peuvent être considérablement renforcées, par exemple l’interdiction du support de visas pour les autorités et leurs familles, ainsi que la détention de leurs avoirs dans les banques occidentales pourraient être implémentées. Chaque fois que des démocrates russes sont condamnés pour leurs activités démocratiques et civiques, le juge doit figurer sur la liste des sanctions, selon la soi-disant version européenne de la loi Magnitsky.

Quant à Nord Stream 2, la suspension du certificat par une agence de réseau allemande est considérée comme un acte politique. Je ne suis pas sûr qu’il y ait un argument politique ici – c’était une erreur technique juridique de la part de la Russie, bien que l’UE ait intérêt à arrêter l’utilisation du gazoduc Nord Stream-2. Je suppose que le gouvernement allemand peut accepter de soumettre le flux de gaz à travers Nord Stream 2 à des sanctions, à condition que la situation en Ukraine empire. De cette manière, le gaz via Nord Stream 2 peut être utilisé comme un outil de réflexion politique.

Le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et d’autres pays de l’UE ont déclaré qu’il y auraient de graves conséquences pour la Russie si elle envahissait l’Ukraine. Mais nous avons vu qu’à l’époque Moscou n’a pas écouté ces déclarations. La diplomatie européenne devrait-elle devenir plus agressive envers des pays comme la Russie?

La Russie a écouté le langage de l’UE sur les sanctions en 2014, comme je l’ai mentionné plus tôt – c’est pourquoi les troupes russes se sont arrêtées devant Marioupol – en raison des sanctions contre l’élite, les entreprises et les responsables gouvernementaux. Il n’y a aucune preuve ou réfutation de ce fait, mais il est possible de supposer que la Russie était préoccupée par de nouvelles sanctions et c’est pourquoi elle s’est arrêtée. Je ne reconnais pas le fait que les dirigeants de plusieurs États membres et institutions de l’UE disent constamment que nous devons reconstruire des relations avec la Russie, comme l’ont déclaré le président Macron et Mogherini, l’ancien haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Je pense que cette approche est contre-productive. Si nous ne parlons que du dialogue, nous affaiblissons notre force de dissuasion.

 

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